La vie robomobile #004

Modes actifs et VA: comment les territoires façonnent-ils leur avenir ?
Villages, communautés de communes, métropoles, régions : les collectivités territoriales sont invitées dans le cadre de la toute récente Loi d’Orientation des Mobilités du 24 décembre 2019 à finaliser la désignation des Autorités Organisatrices des Mobilités. L’idée étant que chaque territoire soit doté, à l’échelle appropriée, de la gouvernance qui lui permette de concevoir et de mettre en oeuvre les solutions de mobilité les plus propres, les plus sûres, les plus efficaces au quotidien, pour les personnes et pour les marchandises.
Les mobilités actives doivent être le socle de cet avenir, que ce soit par le biais des vélos - qui se déclinent désormais en électriques et en cargos - ou de la marche à pied. Se déplacer moins vite, de manière choisie et non plus subie. Cette piste nécessite de repenser nos modes de vie. Mais la mobilité de demain passe également par la robomobilité. Navettes autonomes pour les transports collectifs, robocamions pour la logistique, robotaxis, drones livreurs... En évitant de reproduire le modèle de la voiture individuelle. Il s’agit d’envisager plus largement le transport autrement.
Dans cette perspective, comment ces deux types de mobilités, auxquels s’ajoutent bien d’autres - trains, métros, avions, voitures partagées, etc. -, peuvent-ils se compléter ? Comment empêcher que les nouveaux véhicules autonomes, motorisés, deviennent le mode de transport dominant et organisent l’espace à leur tour ? En termes de politiques publiques, faut-il en faire la priorité, leur poser des limites ou parier sur des équilibres équitables possibles ? Plus généralement, quels choix se présentent aux territoires s’ils veulent maîtriser l’offre globale ?
Les collectivités possèdent un atout dans cette transition : le changement robomobile est encore largement indéterminé. C’est en affichant clairement dès aujourd’hui leurs objectifs à long terme pour leur territoire qu’elles conserveront des marges de manoeuvre. En travaillant ensemble également, pour peser dans la négociation avec les géants des nouvelles technologies. De nouveaux cadres, qui dépassent l’échelle des métropoles, sont à inventer pour envisager la vie robomobile de demain dans toute sa complexité. Lesquels ? Quels sont les différents avenirs envisageables ? En vidéo, l’Atelier la vie robomobile esquisse des pistes.
L'atelier anime le débat
Le véhicule autonome “n'est pas quelque chose qui doit être universel” alerte Dominique Bourg dans un entretien donné à l’Atelier en mars 2018. Auteur avec Alain Papaux du Dictionnaire de la pensée écologique, le philosophe estime que, “si l’essentiel du trafic intercités et si celui des grandes heures d’affluence recourent également aux transports publics sur rail, des poches peuvent alors être ménagées pour une robomobilité adaptée. (...) Nous allons être très prochainement 8 milliards d'habitants sur la planète. On ne peut pas aller dans le sens d'une mobilité débridée, s'offrir ce caprice, quand on a conscience des limites planétaires qui sont les nôtres”. Et d’ajouter : “Encore qu’on peut s’interroger sur l’opportunité de supprimer les emplois de chauffeur."
C’est la raison pour laquelle Mathieu Saujot appelle à “une mobilité autonome durable”. Le chercheur, qui coordonne l'initiative Lier transition numérique et écologique à l'Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI), a identifié trois “modes organisateurs” pour la mobilité autonome : individuelle, collective, à la demande. Et réalisé une évaluation systémique de leurs potentiels impacts pour le développement durable. Conclusion: “Le modèle de mobilité collective, s’appuyant sur les transports en commun, est la matrice la plus à même de porter une mobilité autonome durable. Dans un futur de la mobilité autonome qui sera une combinaison des trois scénarios, les acteurs publics doivent s’appuyer sur ce modèle et en faire le mode organisateur principal sur lequel s’hybrideront les autres formes de mobilité autonome.” Le message est clair.
Mais “comment le plaisir de conduire (slogan publicitaire de BMW) deviendra-t-il un plaisir d’être conduit ?” demande l'historien allemand Fabian Kröger dont les paroles sont reprises par l’Atelier dans son Livrable 2017-2018, à propos des imaginaires de la mobilité, déterminants pour tous ces choix futurs. “Il n’existe pas de modèle, pas de prédécesseur pour une telle transformation. La transition entre un conducteur humain et une voiture robotisée n’est pas uniquement un changement de mode”. Il ne s’agit pas de passer d’un moteur à explosion à un moteur électrique. “Cette transition change l’une des qualités émotionnelles primordiales de la pratique automobile".
En définitive, les humains et leurs objets techniques cherchent toujours un moyen de coexister” résume Joffrey Becker. “Mais cet quête impose une certaine vigilance. Nous aurions beaucoup à perdre à trop déléguer notre capacité d'action aux machines". Et le docteur en anthropologie sociale et ethnologie de citer Norbert Wiener, l’un des pères de la cybernétique, qui écrivait dans Cybernetics : “Le monde du futur nous demandera d'engager une lutte sans merci contre les limitations de notre intelligence, il ne constituera pas un hamac confortable dans lequel nous pouvons nous coucher en attendant d'être servis par nos robot esclaves.” Le livre date de 1964.
Et ailleurs...
RAPPORT — L’impact du véhicule autonome sur l’emploi, European cluster for mobility solutions (CARA)
Il ressort des travaux du cluster européen chargé d’analyser l’impact du développement du véhicule autonome industriel sur les besoins en emplois et en compétences que “l’automatisation totale (de niveau 5, ne nécessitant aucune intervention humaine) n’est vraiment pas pour demain. Et pas seulement à cause de limites technologiques. L’absence d’intervention humaine pose des problèmes très concrets en termes juridiques, assurantiels et tout simplement sur le modèle de partage de la route.”
GUIDE — Blueprint for autonomous Urbanism, National Association of City Transportation Officials (NACTO)
Cette deuxième édition du guide de la NACTO se concentre sur quatre domaines politiques clés - le transit, le fret, les prix et les données - qui constituent le fondement d'un avenir robomobile “durable, dynamique et axé sur les personnes”. Ce guide “identifie les décisions que les villes et le gouvernement à tous les niveaux doivent prendre pour atteindre un avenir autonome axé sur les personnes, basé sur la sécurité, le bien public, l'équité et la durabilité”. L’exemple de la place de la République à Paris pour la circulation entre vélos, piétons et automobiliste y est même étudié.
ARTICLE — 2019 key enacted 911 legislation, National conference of State legislatures (NCSL)
Cet article fait le point sur les règlementations en vigueur dans les différents Etats américains en matière de véhicules autonomes à l’aide d’une efficace infographie. L’auteur renvoie vers d'autres rapports sur le sujet, notamment celui, très riche, du Kentucky Transportation Center, de l’Université du Kentucky, Analysis of Autonomous Vehicle Policies.
SITE — Baromètre des mobilités du quotidien, Fondation Nicolas Hulot et Wimoov
Quelles sont les pratiques de mobilité des Français, en fonction de leur niveau de vie et de leur lieu d’habitation ? Ont-ils des choix ? La Fondation Nicolas Hulot et l’association Wimoov ont réalisé une enquête en ligne auprès de 4000 personnes. Résultats : 60% des 18-24 ans considèrent que les déplacements contribuent “beaucoup” à la dégradation de l’environnement. Mais 77% des personnes interrogées déclarent ne pas avoir accès aux transports collectifs à pied. Quand 26% des plus modestes appréhendent de les prendre. Ce Baromètre “a été pensé pour pouvoir “challenger” les politiques publiques de mobilité et améliorer leur impact”.
La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) vise pour le secteur du transport une réduction, par rapport à 2013, de 30% des émissions de CO2 en 2030 et de 70% à l’horizon 2050. Cet article analyse les marges de manœuvre en matière de mobilités du quotidien pour contribuer à cet objectif. Conclusion : “les pistes à privilégier de manière soutenable pour le développement d’offres alternatives à la voiture solo sont le covoiturage et le vélo avec son option VAE. Mais cela suppose, malgré tout, la mise en œuvre de politiques publiques très volontaristes.”
LIVRE — De l’autre côté de la machine, d’Aurélie Jean, Editions de l’Observatoire
Pour Aurélie Jean, écrire un algorithme, c’est dessiner un chemin de résolution pour un problème donné, plonger dans le virtuel pour comprendre le réel. Si la démarche semble paradoxale, c’est pour la scientifique - et entrepreneure - la seule méthode pour maîtriser notre monde, aux enjeux aujourd’hui encore insaisissables.
Agenda
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11 mars 2020
Grands projets numériques et défis écologiques : contradictoires, ou nécessaires ?, Paris
Aujourd'hui, le numérique contribue à la crise écologique : il consomme des ressources et de l'énergie, il produit des déchets difficiles à recycler, il fonctionne souvent à l'addiction et à l'obsolescence programmée. Peut-il en aller autrement ? Et si c'est le cas, les grands projets technologiques (5G, smart cities, réseaux électriques ou de transport "intelligents", etc.) doivent-ils être remis en question ? Ce séminaire grand public est organisé par la Chaire Good In Tech, partenariat entre l’Institut Mines-Télécom et Sciences Po.
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17-21 mars 2020
Rencontres IN CITÉ, Saint-Quentin-en-Yvelines
Fin de la voiture, agriculture urbaine, ville intelligente… Artistes, historiens, géographes et écologues, concepteurs de solutions technologiques, urbanistes et architectes, sociologues, philosophes, décideurs, acteurs culturels et artistiques, associations d’habitant vont se réunir autour de conférences-débats organisées au théâtre pour “imaginer et construire notre présent et notre avenir de citadins”.
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19 mars 2020
Rencontre François Ascher, La Défense
Penser les transformations structurelles de la société contemporaine est au cœur des travaux de François Ascher, disparu en 2009. L’urbaniste et sociologue a ainsi développé la thèse de l'hypermodernité : non la fin de la modernité ni du capitalisme, ou de la ville, mais au contraire leur "exagération", leur "radicalisation". En 2007, il analysait comment l'écologie ouvrirait des possibilités de rebond grâce à de nouvelles "marchandises écologiques", les cleantech, pouvant permettre à la société actuelle de durer.
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25-26 mars 2020
CoEXist final conference, Milton Keynes (GB)
CoEXist est un projet européen mené de mai 2017 à avril 2020 qui vise à préparer la phase de transition au cours de laquelle les véhicules automatisés et conventionnels coexisteront sur les routes des villes. Après trois ans de travail, les partenaires présenteront les résultats finaux du projet. Une session de formation complètera le programme.
Après un tour d’horizon autour de neuf parcours thématiques en 2018, l’ouverture à l’international en 2019, notre 3e grand rendez-vous annuel aura pour thème principal “Les villes et territoires à l’aune de la vie robomobile”. Si la robomobilité relève bel et bien d’un mouvement mondial, sa traduction concrète n’en sera pas moins locale et localisée, avec des problématiques à la fois très concrètes d’aménagement, mais aussi des enjeux de démocratie locale et d’appropriation citoyenne. Acteurs des territoires, venez explorer avec la communauté de l’Atelier ces futurs robomobiles et leurs implications pour les politiques publiques territoriales.
Pré-programme à télécharger ici.
Contact : lavierobomobile@developpement-durable.gouv.fr
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9 juin 2020 (initialement le 17 mars 2020)
Séminaire design-fiction "Ethique et modes de vie dans les villes et territoires à l'heure de la robomobilité", Lieu "mystère" dans le centre de Paris.
Venez découvrir et expérimenter une nouvelle modalité d'exploration des futurs de la robomobilité par le design fiction !
Modalité émergente de prospective, le design fiction recourt à des outils plus narratifs, immersifs et expérientiels pour projeter et faire réagir les participants sur des situations futures possibles. Pendant 2h environ, vous pourrez ainsi creuser le thème « éthique et libertés robomobiles » avec l’appui d’une anthropologue et de designers. Places limitées, inscription obligatoire. Renseignements auprès de Florian Roques.
Contact : florian.roques@sensinnov.eu
— L’Atelier prospectif “La vie robomobile”