Revue de solutions de robologistique

Synthèse de l'étude réalisée par l'IAU Ile-de-France
A l’ère du numérique, des livraisons toujours plus rapides, d’une offre de produits toujours plus pléthorique, les logisticiens renouvellent leurs organisations. La mobilité des marchandises est plus que jamais un défi quotidien.
Pour faire face à ce défi et rester dans la course, les acteurs économiques (concepteurs, et utilisateurs) se tournent vers des solutions innovantes qu’ils développent, testent, appliquent à travers les différents maillons de la supply chain - de la production à la livraison des derniers mètres. Il s’agit plus particulièrement de solutions de plus en plus automatisées, intelligentes et connectées. L’automatisation de la logistique n’est pas un sujet totalement nouveau, mais les récents progrès technologiques et la multiplication des moyens robomobiles qui en découlent ont amorcé ce qui pourrait représenter un bouleversement à terme de la filière logistique. Par exemple en 2015, les industriels prévoyaient l’arrivée sur le marché de véhicules autonomes entre 2020 et 2025, la « saturation » du marché était prévue pour 2060... La réalité est bien plus complexe.
Aujourd’hui, les solutions robomobiles développées et mises en place sur l’ensemble de la supply chain sont multiples et prennent des formes diverses : depuis les premiers mètres réalisés dans les sites d’extraction minière par des camions automatisés, aux derniers mètres franchis jusqu’au pas de la porte du consommateur final par des robots de livraison, en passant par les solutions d’entreposage automatique dans des plateformes et les véhicules lourds, ultralégers, volants ou roulants..
Chacun de ces maillons se distingue par son environnement de fonctionnement et des process qui lui sont propres. Ils offrent alors, chacun, des espaces différents, propices à des solutions et à des degrés d’automatisation divers. Ainsi, l’environnement fermé et contrôlé (mines, autoroutes, usines, entrepôts...) permet l’utilisation de niveaux d’automatisation inopérants actuellement en espace public partagé par une multitude d’usages et d’usagers (villes, routes, trottoirs...). Là où des camions automatisés circulent librement sans chauffeur et toute la journée (mines de Rio Tinto), d’autres ne sont pas autorisés à rouler sans chauffeur et ne bénéficient du mode automatique que sur des portions autoroutières bien délimitées (Embark). De la même manière, là où des robots de livraisons ne peuvent pas se déplacer sans qu’un opérateur les suive pour surveiller le bon déroulement du trajet (Starship), des robots de tri et de convoyage des colis sont déployés par dizaines dans certains entrepôts (STO Express). Il s’agit donc de deux mondes des possibles, à observer avec leurs atouts, leurs limites, mais aussi les obstacles qui doivent encore être surmontés.
Porteuses de nombreux enjeux, ces « solutions de demain, ou d’après-demain » ont été observées à travers les yeux des acteurs du secteur de la logistique. Elles sont porteuses d’autant d’atouts que de questionnements.
D’un côté, elles représentent des opportunités d’améliorer les conditions générales d’exercice de l’activité logistique et/ou de transport en s’appuyant sur différents aspects.
- Certaines de ces solutions permettraient d’améliorer la productivité sur certains process au sein de la chaîne logistique : par exemple pour les opérations de picking dans les entrepôts, avec l’assistance de solutions goods to man, un opérateur peut passer de 120 picks à l’heure à 600 picks à l’heure. Il est alors question de renforcer la productivité de chaque opérateur pour lui permettre d’effectuer plus d’opérations dans le même temps.
- Pour d’autres, elles permettraient de réduire les coûts. J. Woodrooffe (Université du Michigan) explique par exemple que les économies envisagées sont comprises entre 40 et 60% par rapport au coût de fonctionnement actuel. Ces économies seraient principalement dues aux réductions des coûts de main d’œuvre (représentant aujourd’hui 30% du coût du transport en France) et aux réductions des coûts de carburant, pouvant aller jusqu’à 10% d’économies par trajet dans le cas du platooning par exemple (le carburant représentant aujourd’hui 23% du coût du transport en France). Accompagnant les économies de carburant, on noterait aussi des réductions des externalités environnementales (émissions de polluants, de CO2).
- En Île-de-France, 88% des livraisons sont effectuées directement au domicile du client. Les solutions robomobiles s’inscrivent directement dans cette tendance et cherchent à apporter de nouvelles possibilités aux différents acteurs de ce secteur. Elles leurs permettraient d’aller plus loin sur les services déjà proposés, ou bien de mettre en place de nouveaux modèles serviciels. Par exemple, les drones de livraison visent à renforcer le modèle déjà existant de livraison en 1h d’Amazon (dans le test mené en 2017, une livraison avait été effectuée en 13 minutes, du clic à la livraison), là où des solutions comme les robots livreurs permettent d’imaginer de nouveaux services, comme celui proposé par Walmart où les courses sont livrées jusque dans le réfrigérateur du client en son absence, grâce à un boitier d’identification sur la porte du domicile..
Enfin, pour beaucoup d’acteurs, ces solutions représentent un moyen de réduire activement la pénibilité du travail sur de nombreux postes. En effet, le secteur logistique et le transport de marchandises sont deux secteurs particulièrement soumis à la pénibilité du travail. Altaïr Conseil estimait qu’en 2014, 88% des salariés travaillant sur des plateformes logistiques et 76% des salariés travaillant dans le transport de marchandises étaient concernés par la pénibilité du travail.
Mais d’un autre côté, l’apparition de solutions semi-automatisées ou entièrement autonomes soulève de nombreuses questions, notamment sur des aspects déjà très controversés, de l’automatisation, et de la robotisation.
- La première difficulté à laquelle ces solutions font face est aussi leur atout principal : leur technologie. Bien que très innovants et offrant des possibilités aussi nombreuses que neuves, les systèmes les plus automatisés ne sont pas encore applicables sur tous les territoires comme la route ouverte, ou bien n’importe quelle route urbaine par exemple... et, pour beaucoup d’acteurs du secteur, cela réduit grandement la visibilité économique quant à l’avenir de ces solutions à moyen et à long terme.
- La sécurité des personnes et des biens représentent un véritable défi pour ces solutions autonomes qui, par définition, sont amenées à fonctionner sans supervision directe. Dans le contexte très particulier de la logistique, cela soulève de nombreuses questions quant au transfert de responsabilité et à la question juridique. Aujourd’hui, bien qu’elle permette des expérimentations de plus en plus poussées, la règlementation reste très prudente et très restrictive.
- La nature de ces solutions amène beaucoup d’acteurs à réfléchir sur la place de l’Homme dans la chaîne logistique du futur. Son fonctionnement repose, aujourd’hui encore, énormément sur l’Humain pour fonctionner : l’opérateur humain représente une main d’œuvre capable de s’adapter en fonction des situations... là où les robots doivent encore prouver qu’ils sont capables de faire ce que fait un livreur, y compris faire face aux aléas et aux imprévus de livraison par exemple . Il y a donc une véritable nécessité de revoir et de repenser la place de l’Homme pour ne pas entrer dans un paradigme où l’Homme serait au service de la machine.
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Enfin, la question du business model qui accompagne ces solutions est très présente. La faible visibilité sur l’avenir de ces solutions fragilise grandement le modèle économique qui accompagne la robomobilité logistique. Entre la décision de mettre en place un entrepôt et sa mise en exploitation, il peut s’écouler quelques années durant lesquelles les solutions installées peuvent devenir dépassées ou beaucoup moins performantes et rentables qu’une technologie qui aurait vu le jour entre-temps.
Malgré la multiplication de solutions de plus en plus automatisées, de test et d’expérimentations longues, on observe une véritable ambivalence de la part des acteurs interrogés au sujet de ces solutions et des impacts pressentis. C’est à l’aune de ces observations et de ces questionnements que se pose la question du visage de la supply chain de demain, mais aussi du visage des villes de demain, terrains de jeu d’un grand nombre de ces solutions, et partie intégrante du système logistique. Aujourd’hui, si l’on dénote une ambivalence claire de la part des acteurs, tous se rejoignent pour dire que la véritable question n’est plus de savoir si ces solutions seront intégrées dans le monde logistique... mais plutôt quand.
Quelques éléments partagés par Cédric Cariou (IAU ÎdF) lors du grand rendez-vous annuel de l'Atelier prospectif du 9 avril 2018
Robomobilité : de quoi parle-t-on ?
On entend par robomobilité logistique tous systèmes d’automatisation, de robotisation, d’assistance à la mobilité des marchandises. Différentes formes sont à bien distinguer :
- Connectées
- Automatisées (« solutions supervisées »)
- Autonomes
Différents environnements de fonctionnement :
- Environnement ouvert
- Environnement contrôlé et fermé
Plusieurs formes de solutions robomobiles sont à distinguer (véhicule asservis, cf rapport du sénat du27 novembre 2017) : solutions dépendantes de l’infrastructure, ou bien d’un système de gestion centralisé.
Des applications fret très diverses

Sur chaque maillon de la chaîne, on retrouve des applications à différents niveaux d’autonomie/d’automatisation justement parce que chaque maillon admet des spécificités (notamment en ce qui concerne l’environnement de fonctionnement des véhicules). Les solutions automatisées sont beaucoup plus simples à mettre en place dans des environnements fermés tels que les entrepôts ou les mines, par exemple, que dans des environnements ouverts comme la route, ou les milieux urbains denses.
Elles prennent des formes très variées et sont présentes sur toute la chaîne logistique…

On observe alors une multitude de solutions automatisées pour une multitude d’usages, dans différents environnements. Que ce soit :
- Camions ou convois semi-automatisés
- Petits robots de livraison sur roues
- Robots de tri des colis automatisés
- Etc…
On remarque une transversalité importante de la technologie, appliquée et réappliquée dans différents contextes de fonctionnements. Ici, l’idée de base est globalement toujours la même : il s’agit d’améliorer la productivité en automatisant le fonctionnement au maximum.

Les solutions du futur : oui, mais…
Il s’agit d’innovations suivies et mises en avant au travers des différents avantages qu’elles promettent :
- réduction des coûts,
- amélioration de la productivité,
- réduction de la pénibilité du travail etc
Des questionnements persistent et notamment celui de la place de l’Humain dans cette chaîne logistique du futur.

Cédric Cariou travaille au département Mobilité et transports de l'IAU d’Île-de-France. Son travail est principalement axé sur les véhicules autonomes (passagers et fret) ainsi que les travaux prospectifs qui les entourent. Il est diplômé de l’Université de Cergy-Pontoise en 2017, où il a présenté son mémoire de fin d’étude sur trois expérimentations de navettes autonomes présentant leur intégration dans la logique territoriale locale et la planification des transports (Paris, Lyon en France et Sion en Suisse).